jeudi 23 août 2012

Sentences de Haçan Basri par Farid Ad-Din Attar




Extraits de l'ouvrage : "Le mémorial des saints " de Farid-ud-Din 'Attar
Traduit d'après le ouïgour par A. Pavet de Courteille



Sentences de Haçan Basri1.

Ce nourrisson de la prophétie, ce sanctuaire de la science, ce président des hommes d'élite.Cheïkh Haçan Basri, que la miséricorde de Dieu soit sur lui!Il avait été élevé dans la maison de Mohammed, sur lui soit le salut!Sa mère était servante de celle des femmes de l'Envoyé qu'on nommait Oumm Selama. Chaque fois que sa mère était occupée à quelque ouvrage. Si Haçan Basri se mettait à pleurer,Oumm Selama, que Dieu se complaise en elle! lui donnait le sein. Quelques gouttes de lait pénétraient dans son gosier, et les miliers de bénédictions que le Seigneur très haut répandit plus tard sur lui sont dues à l'influence heureuse de ce lait béni.

On raconte qu'un jour Haçan Basri, étant dans la maison d'Oumm Selama, but de l'eau à la cruche dont se servait l'Envoyé, sur lui soit le salut!Celui-ci étant survenu demanda qui avait bu de l'eau à cette cruche.Oumm Selama lui ayant répondu que c'était Basri, il dit : "Autant il a bu d'eau de la cruche, autant de ma science il lui écherra en partage."

Une autre fois l'Envoyé, sur lui soit le salut! étant venu chez Oumm Selama, fit asseoir Haçan Basri sur le pan d sa sainte robe et appela sur sa tête les bénédictions de Dieu.
C'est grâce à cette prière que le Seigneur très haut accorda à Haçan Basri un rang si élevé.


On rapporte que, lorsque Haçan Basri fut mis au monde par sa mère, on le porta à Omar, qui dit : "Voilà un bel enfant, donnez-lui le nom de Haçan";car dans la langue arabe, pour dire "beau" on se sert du mot "Haçan".

Oumm Selama eut soin de Haçan comme de son propre fils, tellement que, lorsqu'elle lui mit à la bouche son sein béni, il en sortit du lait par un effet de la toute- puissance du Seigneur très haut, quoiqu'il fût déjà tari.De plus Oumm Selama disait en le bénissant : "Mon Dieu, accorde ta grâce à cet enfant et fais qu'il devienne le modèle de la famille.Il en arriva, par le fait, à avoir des relations avec cent trente des compagnons et il avait vu personnellement soixante-dix de ceux d'entre eux qui étaient au combat du puits de Bedr2.Haçan Basri était favorable à la cause de l'émir des fidèles, Ali, de la part duquel il lui revint plus tard un manteau.
Voici ce qui fut tout d'abord cause que Haçan Basri fit pénitence. Il était marchand de pierreries et on l'appelait "Haçan le lapidaire".

A une certaine époque il s'était rendu dans le pays de Roum pour y exercer son commerce, et il existait des relations amicales entre lui et le vézir du pâdichâh de cet empire. Un jour le vézir lui dit : "Aujourd'hui nous devons sortir de la ville et nous rendre à un certain endroit : viendras-tu avec nous ?
-Oui, répondit Haçan, j'irai."
Et, en effet, il se mit en marche avec eux. "Je vis dans une plaine, racontait-il , une vaste tente dont les cordes étaient de soie et les piquets d"or. Je vis aussi une nombreuse troupe de soldats tout couverts de leurs armures.Ils firent le tour de cette tente, échangèrent entre eux quelques paroles et se retirèrent. Ensuites'avancèrent environ quatre cents  molla et soufi 3 qui firent le tour de  la tente et se retirèrent après avoir aussi prononcé quelques paroles.
A leur place quatre à cinq cents vieillards vinrent faire le tour de la tente, prononcèrent quelques paroles et s'en retournèrent. Puis vinrent quatre à cinq cents belles jeunes filles, ayant chacune dans la main un plat rempli de toute espèce de choses précieuses, telles que or, argent, rubis, hyacinthes, perles, turquoises.
Elles firent le tour de la tente et s'en allèrent.Ensuite le qaïsar-roi et son vézir entrèrent dans la tente et en ressortirent. Pour moi, continuait Haçan, restais immobile d'étonnement à ce spectacle.
-Que signifie tout cela ? Demandai-je au vézir.
-Le quaïsar-roi avait un fils, me répondit-il. C'était un enfant extrêmement beau et plein d'heureuses dispositions .Le pâdichâh avait pour ce fils un amour démesuré.
Soudain l'enfant tomba malade et mourut. Son tombeau est actuellement dans l'intérieur de cette tente et on vient le visiter une fois par an.Ces nombreux soldats tout couverts de leurs armures viennent, font le tour de la tente et disent :Ô fils du sultan ! si nous avions pu te racheter à la pointe de nos épées ou aux coups de nos masses d'armes, nous l'aurions fait en te sacrifiant notre vie ; mais tout cela est arrivé par le commandement du Seigneur très haut et il est impossible d'y rien changer ; et après avoir ainsi parlé, ils s'en vont . Les molla et les soufi, venant à leur tour, disent :
" Ô fils de roi ! si nous avions pu te racheter avec l'aide de la science ou de la parole, nous l'aurions fait par la puissance de la discussion ; mais les paroles et la science du monde entier ne peuvent rien changer aux arrêts suprême du Seigneur très haut ; et ils s'en retournent . Puis viennent les vieillards qui s'écrient : S'il avait été possible de te racheter au prix des supplications et des gémissements, nous l'aurions fait ; mais notre intercession n'a servi à rien ; et ils s'en vont, eux aussi. Viennent alors les belles jeunes filles qui disent : Ô fils du sultan ! si nous avions pu te racheter au prix de la beauté et des richesses, nous aurions sacrifié pour ta rançon nos personnes et tous ces trésors ; mais on ne détourne la marche du destin ni par l'argent ni par la beauté ; et elles se retirent . Après elles le pâdichâh et le vézir entrent dans cette tente . Le pâdichâh dit : Ô mon fils ! J'ai fait tout ce que je pouvais faire . J'ai amené ici ces nombreux soldats, tous ces savants, ces soufi, ces vieillards, ces belles jeunes filles chargées de tant de trésors ; et cependant je n'ai pu te racheter . Cela ne dépend pas de moi .La puissance suprême appartient àCelui  qu'aucune injure ne saurait atteindre et auprès duquel les forces du monde entier restent impuissantes. Que les miséricordes du Seigneur très élevé se multiplient sur toi jusqu'à l'année prochaine ! Et ayant ainsi parlé, ils reprennent le chemin par lequel ils étaient venus . "Cheikh Haçan Basri, ayant entendu ces paroles, se sentit touché au fond du coeur.
Aussitôt, quittant le pays  de Roum, il se rendit à Basra, où il fit le serment de ne plus rire dans ce bas-monde aussi longtemps qu'il ne saurait pas au juste à quel sort il était réservé. dès lors il accepta de bon coeur toute espèce d' épreuves et d'afflictions. De plus il s'adonna aux exercices de piété avec une telle ardeur que personne dans ce siècle, n'avait pu supporter de semblables mortifications; jusque-là que, pendant soixante-dix ans, chaque fois qu'il avait rompu la pureté légale en satisfaisant aux besoins naturels, il ne manquait pas de se purifier de nouveau4. Il se confina dans une telle solitude qu'il n'avait plus rien à attendre de toutes les créatures. C'est pour cela que le Seigneur très haut lui accorda un degré si élevé qu'il serait impossible d'en donner une idée. Il devint considéré entre tous. Un jour quelqu'un disait de lui: "Ce Haçan est plus grand que nous tous, il est plus considéré, il est meilleur ." La considération dont jouit Haçan vient de ce que toutes les créatures demandent conseil à son savoir qui est profitable à tous, tandis que lui n'a besoin de qui que ce soit, si ce n'est du Seigneur très haut."


Cheïkh Haçan Basri faisait une homélie une fois par semaine et donnait des avis au peuple. Le jour où il devait prononcer cette homélie, si Râbi'a Adaviyeh n'était pas présente, il descendait de chaire et ne parlait pas.
Quelqu'un lui dit : "Ô Cheîkh Haçan ! Voilà ici tant de begs, de riches et de grands ; parce qu'une vieille femme ne s'y trouvera pas, est-ce une raison pour que vous ne prononciez pas l'homélie ?" Et Haçan Basri de répondre : "Le breuvage que nous préparons pour l'estomac des éléphants, on ne saurait le verser dans le gosier des fourmis ."


Chaque fois que Haçan Basri prononçait une homélie, au moment où le feu de l'amour divin tombait sur les coeurs de tous les assistants et où les larmes commençaient à couler de leurs yeux, lui, regardant Râbi'a, s'écriait : "Ô Râbi'a ! le feu qui s'allume dans ces coeurs vient tout entier d'un seul de tes soupirs ."Comme on lui demandait un jour s'il n'était pas fier de tout ce concours de peuple qui se pressait pour entendre sa parole : "Nous ne tenons pas à la foule des auditeurs, répondit-il, mais qu'il vienne seulement deux derviches à nos instructions et nous nous en réjouirons ."
Une autre fois on lui demandait en quoi consiste l'islamisme et qui sont les musulmans . "L'islamisme est dans les livres, répondit-il ; quant aux musulmans, ils sont sous terre.-Mais, lui demandait-on encore, quelle est la racine de la religion ?-L'abstention de toute mauvaise action et la crainte du Seigneur très haut .-Et ces deux conditions essentielles, qui les vicie ?-La convoitise ."


On le questionna aussi sur ce qu'on appelle les "Jardins de l'Eden ".
"Les "Jardins de l'Eden", répondit-il, sont un seul et unique paradis d'or rouge, dont le Seigneur très haut connait seul les splendeurs .Dans ce paradis entreront les prophètes, les hommes droits, les martyrs, les sultans qui auront pratiqué la justice et tous ceux encore qui n'auront pas admis dans leurs coeurs l'amour de ce bas monde ."Un jour on lui demandait comment un médecin, qui est malade lui-même, pourrait remédier aux souffrances des autres ; car on dit : Soigne-toi toi-même d'abord afin de pouvoir ensuite soigner les autres ."

Ce que je sais, répondit-il, vous m'avez entendu vous l'exposer dans l'espoir que cela vous serait utile ;quant à mon ignorance de bien des choses, il ne vous en est revenu aucun préjudice . "

On lui disait, sous forme de reproche : "Ô Cheîkh Haçan Basri ! nos coeurs sont engourdis dans le sommeil et ils ne s'éveillent pas à ta parole.
-Ah ! plût à Dieu qu'ils ne fussent qu'endormis ! s'écria-t-il . Celui qui est endormi, on le secoue et il s'éveille ; vos coeurs à vous sont bien morts ; et voilà pourquoi on a beau les secouer, ils ne s'éveillent jamais . - Mais, lui demandait-on, il y a des gens qui nous effrayent tellement par leurs menaces que nos coeurs en sont brisés ; est-ce permis cela ?
-Est-ce qu'il ne vaut pas mieux, leur fit-il observer, trembler aujourd'hui en entendant la parole de Dieu que de frémir demain, au jour de la résurrection, quand vous serez saisis par le châtiment suprême ? " Alors on lui lançait cette objurgation : "Haçan, tant que tu ne t'es pas purifié toi-même, d'où vient que tu nous donnes des avis ?
- Ô hommes ! répondit-il, le désir de Cheïtan est de susciter dans vos coeurs des objections comme celles-là afin que, fermant la porte de la vertu, vous ouvriez celle du mal. "
On lui dema,da encore si les fidèles étaient sujets à l'envie ; et lui de répondre : " Sans doute, vous avez oublié la conduite des frères aînés de Youçouf le prophète ?
Mais, à tout prendre, il eût été bien préférable qu'ils ne manifestassent pas publiquement la plaie de l'envie cachée dans leurs coeurs . "


Haçan Basri avait un disciple qui se jetait à terre en poussant des gémissements chaque fois qu'ils récitaient ensemble un verset du Qoran ."Ces gémissements que tu pousses, lui dit Haçan Basri, si tu as la force de les retenir, sont comme un feu de perdition que tu souffles sur tes propres oeuvres ; mais si tu les pousses malgré toi et sans pouvoir les retenir, moi qui suis Haçan Basri, je me déclare de dix degrés en arrière de toi " ; et il ajoutait: " Crier comme cela et pousser des gémissements n'est, la plupart du temps, que l'oeuvre de Cheïtan . "

On raconte qu'un jour Haçan Basri prononçait une homélie, lorsque tout à coup Heddjâdj ben Youçouf, accompagné d'un grand nombre de ses serviteurs, le sabre nu, pénétra dans la mosquée . Un grand personnage, qui était assis là, dit : "Il nous faut observer aujourd'hui Haçan Basri pour voir s'il sera gêné par la présence de Heddjâdj ."
Lorsque celui-ci fut entré et eut pris place, Haçan Basri, sans faire la moindre attention à lui, allongea son discours, bien loin d'en rien retrancher . Une fois son homélie terminée, le grand personnage qui avait dit qu'il fallait l'observer s'écria : "Bravo Haçan !"
Lorsqu'il descendit de la chaire; Heddjâdj s'avança et, lui prenant la main, dit en s'adressant au peuple : "Si vous désirez voir celui de ses serviteurs que le Seigneur très haut a distingué entre tous, venez et contemplez Haçan Basri ."

Après la mort de Heddjâdj, un personnage vénérable le vit en songe, gisant renversé au milieu des assises de la résurrection . "Ô Heddjâdj ! lui dit-il, que demandes-tu ?
-Rien autre chose que ce que tant d'hommes respectables et ceux qui proclament l'unité de Dieu demandent eux mêmes ."Au moment de sa mort Heddjâdj avait dit :
"Ô mon Dieu ! fais voir à ce malheureux, au coeur serré, ta générosité et ta miséricorde.
Les voilà tous qui, d'un seul coeur et d'une même bouche ; déclarent que le Seigneur très haut condamne Heddjâdj sans espoir de retour et ne lui pardonnera jamais .
Et bien, en dépit d'eux, par un effet de ta munificence, ne tiens pas compte de mes péchés et fais-moi miséricorde ." Lorsqu'on rapporta ces paroles à Haçan basri, il dit : "Heddjâdj est capable de prendre l'autre monde par escamotage ."


On raconte que l'émir des croyants, Ali, vint à Basra et y demeura trois jours, au bout desquels il se rendit à la réunion de Haçan Basri ."Ô Haçan ! lui demanda-t-il, es-tu un savant ou un homme qui étudie ?
-Je ne suis ni l'un ni l'autre, dit Haçan . Les quelques paroles qui sont venues à moi de la part de l'Envoyé,  sur lui soit le salut ! je les enseigne au peuple .
-Voilà un bon jeune homme, s'écria Ali, il est vraiment digne d'enseigner la parole de Dieu "; et, sur-le-champ, il sortit de Basra . Haçan Basri, ayant appris tardivement que le personnage auquel il avait eut affaire était Ali en personne, descendit aussitôt de la chaire . Il courut si vite sur la route qu'Ali avait suivie qu'il le rattrapa .
"Ô émir des fidèles, Ali ! je t'en supplie au nom de la Divinité, enseigne-moi à faire la purification . " Il y a à Basra un endroit qu'on appelle la "porte du bassin ".
Haçan y apporta de l'eau et Ali lui enseigna à faire la purification ; puis il s'éloigna .


Une année il y eut à Basra une sécheresse . Toute la population, étant sortie en masse de la ville, faisait des prières pour obtenir de la pluie . On installa une chaire sur laquelle Haçan Basri monta et dit : "Ô habitants ! si vous voulez qu'il tombe  de la pluie, chassez-moi de Basra ."

Haçan Basri avait dans le coeur une telle crainte du Seigneur très haut que, semblable à un homme assis près du bourreau, il était sans cesse dans l'appréhension ; il n'était personne qui l'eût jamais vu rire . On raconte qu'ayant vu un jour quelqu'un qui pleurait, il lui demanda ce qu'il avait . "C'est, répondit celui-ci, que j'ai été à la réunion de Mohammed Ka'b, et il a dit qu'il se trouvait certainement parmi les musulmans un grand nombre d'hommes qui, en punition de leurs péchés, resteront beaucoup d'années dans l'enfer, d'où on les retirera plus tard .
-Plût à Dieu, s'écria Haçan Basri, que je fusse un de ceux qui, à la fin, sortiront de l'enfer !" L'Envoyé, sur lui soit le salut ! dit : "Quatre-vingts ans après tous les fidèles, on fera sortir de l'enfer un homme de mon peuple nommé Hounnâd .
Plût à Dieu, s'écria Haçan Basri, que je fusse ce Hounnâd qui finalement, sortira de l'enfer ! "


Une nuit, raconte-t-on .Haçan Basri gémissait et pleurait dans sa maison .
"Pourquoi ces gémissements et ces pleurs ? lui demandèrent ses voisins .
Je pleure, répondit-il, en pensant que peut-être aujourd'hui, sans le savoir, j'ai posé le pied sur un endroit prohibé ou laissé échapper une mauvaise parole qui ne sera pas agréée devant le trône du Seigneur très haut, d'où je serai chassé sans coup férir .Va, me dira-t-on, tu n'as pas accès ici, tes oeuvres de piété ne sont pas acceptées . Et que répondrai-je alors ? Voilà pourquoi je crains ."


Un jour Haçan Basri, assis sur le toit de sa demeure solitaire, pleurait si abondamment que les larmes de ses yeux coulaient par la gouttière .Comme cette eau avait atteint la tunique d'un passant, celui-ci demanda si c'était de l'eau propre ."Non, elle n'est pas propre, dit Haçan Basri, puisque ce sont les larmes d'un prévaricateur . Dépêche-toi d'aller te laver ."

Une autre fois, un homme étant venu à mourir, Haçan Basri accompagna le convoi jusqu'à ce qu'on fût arrivé au monument funèbre. Quand on eut déposé le corps dans la tombe, lui se mit à pleurer si fort que la terre en fut toute détrempée, et il s'écriait: "Ô vous tous qui êtes ici ! cette tombe est notre dernière étape dans ce bas-monde et  la première dans l'autre monde .D'où vient donc votre goût pour une vie qui finit de cette manière, et pourquoi ne craignez-vous pas l'autre vie qui commence là où la première finit ? Ô gens de peu de prévoyance ! puisque tel est le commencement de votre fin dernière, pourquoi témoignez-vous une telle incurie pour les intérêts de l'autre monde ?"

Un autre jour, comme il passait au milieu d'un groupe de tombes avec plusieurs personnes, Haçan Basri dit ;"Il y a dans ces tombes nombre de fidèles dont les visées sont telles qu'ils ne se soucient guère du paradis ; mais ils ont au coeur un regret aussi grand que l'espace qui s'étend de la terre au firmament, lorsqu'ils se disent : Ah ! plût au ciel que, dans ce bas monde, nous eussions servi Dieu avec plus de zèle encore,parce que, à la cour du Seigneur très haut, nous aurions trouvé un rang bien plus élevé que le nôtre !"
Dans son enfance Haçan Basri avait commis une mauvaise action .Chaque fois qu'il mettait une nouvelle chemise, il inscrivait le nom de ce péché sur le collet et il à la vue de ce qu'il avait écrit.

Un jour le khalife Abd el-Aziz, que Dieu se complaise en lui! envoya à Haçan Basri une lettre dans laquelle il lui demandait de lui adresser un conseil . Haçan Basri lui répondit : "Ô Abd el-Aziz ! si le Seigneur très haut est avec toi, que crains-tu ? et s'il n'est pas avec toi, en qui peux-tu mettre ton espoir ?"

Tsabit Bennâni, que la miséricorde de Dieu soit sur lui ! envoya à Haçan Basri une lettre dans  laquelle il lui disait :"Vous vous rendez à la Ke' abeh: si j'y allais avec vous ?
-Laisse là ce propos, répondit Haçan Basri, afin que nous restions tous deux sous la protection  du Seigneur très haut .Si nous étions ensemble , il arriverait que, voyant réciproquement nos défauts,nous deviendrions ennemis ."

Haçan Basri dit à Zâhid Djâbir :" Il y a trois choses que tu ne dois pas faire :1. garde-toi bien d'entretenir des relations avec les rois ; 2.ne tiens jamais compagnie seul à une femme seule ;3.ne tends pas ton oreille aux paroles des autres ; ne va pas recueillir des rapports de tous côtés ."

Mâlik Dinâr demandait à Haçan Basri quelle est la fin la plus triste pour les savants .
"Le plus grand malheur pour un savant répondit-il, est que son coeur vienne à mourir et reste dans les ténèbres - Et cela, reprit Mâlik Dinâr, arrive aux savants par suite de leur amour exagéré pour le monde ."


Un personnage vénérable racontait : "Une nuit, à l'aube, je me rendis à la porte de la mosquée que fréquentait Haçan Basri, pour y faire la prière .Je vis que la porte était fermée, mais on  entendait Haçan Basri faire des invocations auxquelles plusieurs personnes répondaient "amen". Je m'assis en dehors jusqu'à ce que l'aurore brillât . Alors je posai la main sur la porte, qui s'ouvrit et laissa voir Haçan basri assis tout seul . La prière faite, je lui demandais qui répondait "amen" quand il faisait des  invocations .-Sache, me répondit-il, que, la nuit de chaque vendredi, les génies viennent prendre une leçon auprès de moi et s'initier à la science : et chaque fois que je prononce une invocation, ils disent "amen"."

Toutes les fois que Haçan Basri faisait une invocation, Habib'Adjemi, levant le pan de sa robe, restait debout et disait : "Je vois la miséricorde du Seigneur très élevé qui tombe en plein du haut du ciel ."
On rapporte qu'un personnage vénérable disait : "Nous nous rendions à la Ke'abeh avec Haçan basri . Dans le désert  nous étions très altérés, lorsque nous arrivâmes auprès d'un puits où il n'y avait ni seau ni corde pour tirer de l'eau . Haçan Basri dit : Quand je me mettrai en position pour faire la prière, il vous sera possible de boire de l'eau de ce puits . En effet, aussitôt qu'il se disposa à prier, l'eau, s'élevant du fond, vint jusqu'à l'orifice du puits, et tous se mirent à boire ; mais l'un de nous n'eut pas plus tôt rempli une cruche que l'eau s'abaissa de nouveau jusqu'au fond du puits, et Haçan Basri de s'écrier :"Ô gens de la caravane ! parce que vous n'avez pas confessé hautement la toute-puissance du Seigneur très-haut, l'eau s'est retirée au fond du puits . Lorsque nous fûmes  à une certaine distance de ce puits, Haçan Basri trouva sur la route une datte, qu'il nous donna . Après l'avoir mangée, nous vîmes qu'elle avait un pépin d'or . Nous pourvûmes à nos dépenses à Médine avec la moitié de cet or et nous donnâmes l'autre moitié en aumônes ."

On raconte qu'Abou Omar, iman de Qarchi, ayant considéré d'un oeil perfide la beauté d'un jeune garçon, oublia tout le Qoran par un effet de la toute-puissance du Seigneur très-haut . Le coeur brûlé d'une flamme secrète, tout en larmes, il se rendit auprès de Haçan Basri, auquel il exposa son état . Celui-ci pénétré d'inquiétude à son sujet, dit : "Ô Omar ! voici le temps de se rendre à la Ke'abeh ; vas-y, visite-la et ensuite transporte-toi à la mosquée de Gaïf . Sur le mihrâb de cette mosqué est assis un homme à barbe blanche . Expose-lui ton état .
S'il fait une prière pour toi, tu es assuré de trouver satisfaction . "Abou Omar partit donc et visita la Ke'abeh ;
puis, allant à la mosquée qui lui avait été indiquée, il y vit un vieillard vénérable assis sur le mihrâb et une troupe de gens installés près de lui . Abou Omar s'assit lui-même dans un coin de la mosquée . Bientôt après ilvit pénétrer dans la  mosquée un homme vêtu de blanc . Tous ceux qui étaient assis là allèrent à sa rencontre et le saluèrent . ils s'assirent un certain temps et conversèrent ensemble . Lorsque vint l'heure de la prière, celui qui avait des vêtements blancs s'en alla ainsi que tous ceux qui étainet assis avec lui . Ce vieillard à barbe blanche resta seul . "Alors, racontait Abou Omar, je m'approchai et je lui dis ;Au nom de la Divinité, viens à mon secours ; et je lui expliquai ma situation . Ce vieillard intercéda pour moi . Regardant le ciel du coin de l'oeil, après avoir invoqué Dieu, il n'avait pas encore baissé la tête vers la terre que, subitement, par un effet de la toute-puissance divine, je retrouvai dans ma mémoire le Qoran tout entier . Dans ma joie, comme j'étais tombé aux pieds de ce vieillard en lui baisant les mains, il dit : Qui m'a désigné à toi ?
-Haçan Basri, répondis-je . Et lui de reprendre : Celui qui a un directeur et un imam comme Haçan Basri, qu'a-t-il besoin de recourir à d'autres ? Et le vieillard ajouta : Puisque Haçan Basri m'a dévoilé, moi aussi, je veux le dévoiler .
Il a déchiré le rideau qui m'abritait ; à mon tour, je vais déchirer le rideau qui le cache . Ce personnage vêtu de blanc qui est venu tout à l'heure et est reparti, c'étais Haçan Basri en personne .Chaque jour il fait la prière de midi à Basra ; puis il vient ici, s'entretient avec nous et retourne ensuite à Basra pour y faire la prière de l'après-midi .
Quiconque jouit de sa compagnie, qu'a-t-il à faire de nos prières ? "


On raconte qu'un homme ayant égorgé son cheval mourant resta tout soucieux de cette perte . Haçan Basri, le voyant si chagrin, lui donna quatre cents pièces d'or pour prix de son cheval . La nuit venue, le propriétaire du cheval vit en songe sa monture qui paissait dans le paradis, au milieu d'une prairie, entouré de ses quatre cents poulains gris . "A qui donc  est ce cheval ? - Mais lui répondirent plusieurs voix, ce cheval était d'abord à toi; actuellement il appartient à Haçan Basri ."
Et sur l'heure, il s'éveilla . "Ô Haçan Basri ! lui dit-il, je me repens du marché que j'ai fait ; ramène-moi mon cheval . - Mais, mon cher, reprit Haçan Basri, ce songe que tu as vu, je l'avait vu avant toi . "Et l'autre de s'en aller tout attristé . Or, la nuit suivante, Haçan Basri vit dans l'intérieur du paradis de nombreux palais et des jardins riches en toute sorte de produits . "A qui tous ces biens ? demanda -t-il . -A celui-là, lui répondit-on, qui, ayant acheté un objet à quelqu'un, n'hésite pas à le rendre à son propriétaire lorsque celui-ci vient lui dire : Je ne veux plus te vendre cet objet, j'ai regret d'avoir fait ce marché . "
Aussitôt que l'aurore parut, Haçan Basri restitua le cheval à son premier maître .


On raconte que Haçan  avait un voisin infidèle, adorateur du feu, nommé Chem'oun . Ce Chem'oun tomba malade . Lorsque son dernier moment approcha, on dit à Haçan Basri : "Chem'oun est votre voisin et sa dernière heure est arrivée, que n'allez-vous le visiter ?"
Haçan Basri, s'étant rendu auprès de lui, vit qu'à force de se prosterner devant le feu de ses cheveux et sa barbe étaient tout enfumés .
Dans l'espoir que cet infidèle pourrait devenir musulman, il lui dit ; "Allons, Chem'oun, crains le châtiment que te prépare le Seigneur très haut, toi qui, te prosternant devant le feu pendant soixante-dix ans, as passé toute ta vie dans l'infidélité . Fais donc profession maintenant de la foi, afin qu'à ton dernier moment le Seigneur très haut te prenne en pitié . - Pour moi, répondit Chem'oun, je vois de votre part trois manières d'agir, que je ne puis m'expliquer et qui m'empêchent de devenir musulman ;1. vous ne cessez de répéter que ce bas monde est périssable, qu'il est impur, et cependant, nuit et jour, sans trève ni repos, vous entassez ses trésors ;2. vous dites que la mort est certaine et inévitable, et cependant vous ne vous en préoccupez nullement et  vous ne pratiquez pour vous-mêmes aucune des oeuvres de l'autre monde ;3.vous dites qu'il est vrai qu'on pourra contempler la face du Seigneur très haut, et cependant vous commettez des actes qui ne sont pas du tout digne de sa majesté .-Tu parles comme les initiés, dit Haçan Basri, mais, quoique les fidèles commettent des péchés, ils n'en confessent pas moins l'unité et l'existence du Seigneur très haut, tandis que toi, tu as dépensé toute ton existence à te prosterner en adoration devant le feu .Au jour de la résurrection, si l'on nous précipite dans l'enfer toi et moi, le feu, sans te respecter en rien, t'emportera à l'instant même, tandis que, si la grâce du Seigneur très haut m'est accordée,  la puissance du feu n'ira même pas jusqu'à enlever un seul de mes poils ; ce qui prouve qu'il n'est qu'une créature . Ce n'est pas tout : il y a soixante-dix ans que tu le sers, tandis que moi, je ne l'ai jamais servi . Eh bien, viens ; tous deux nous allons mettre nos mains dans le feu, et nous verrons sa nature bienfaisante et en même temps la toute-puissance du Seigneur très haut . "Et, sans plus tarder, Haçan Basri plongea sa main dans le feu sans qu'elle en éprouvât la plus légère brûlure . Che'moun, à ce spectacle, demeura stupéfait ; puis, son coeur s'éclairant à la lumière de l'initiation, il dit à Haçan Basri : "Ô Haçan! pendant soixante-dix années j'ai adoré le feu ; que faire maintenant ?
-Faire la profession de foi et devenir musulman, répondit Haçan basri .Soit, reprit Che'moun, mais donne moi un engagement écrit en vertu duquel, au jour de la résurrection, le Seigneur très haut ne me châtiera pas ;  et je suis prêt à faire la profession de foi .
Autrement, tant que tu ne m'auras pas donné cet écrit, je ne la ferai pas . "Aussitôt Haçan Basri écrivit un acte tel que le désirait Che'moun et le lui mit entre les mains . "Ce n'est pas tout, dit celui-ci, fais-y apposer le sceau des qadi . "
Lorsqu'ils l'eurent scellé de leur sceau, Che'moun, pleurant très fort, fit pénitence de ses péchés passés ; puis il prononça la formule de la foi et devint musulman . Alors, s'adressant à Haçan Basri, il lui fit cette recommandation : "Quand je serai mort, fais laver mon corps et dépose-moi toi-même dans ma dernière demeure en ayant soin de me mettre cet écrit entre les mains . "Après avoir donné ces instructions, il répéta la profession de foi et rendit le dernier soupir . Aussitôt on le lava, on récita sur lui les prières des morts et, en le déposant dans sa dernière demeure, on lui mit cet écrit entre les mains . Cette nuit-là même Haçan Basri était plongé dans ses réflexions et le sommeil ne lui venait pas . "Qu'ai-je fait ? se disait-il, je ne suis pas capable de me retirer moi-même de l'abîme : comment donc en retirerai-je les autres ? "
Comme il était dans ces pensées, il tomba tout d'un coup dans le sommeil . Dans son rêve il vit Che'moun, le visage resplendissant de beauté, une couronne sur la tête, revêtu de beaux habits, qui se promenait dans le paradis . "Che'moun, lui demanda-t-il, quelle est ta condition ?
-Celle que tu vois, répondit Che'moun . Le Seigneur très haut m'a fait miséricorde . De plus, par un effet de sa générosité, il m'a pardonné me péchés et m'a montré sa face . Pour toi, tu es déjà dégagé de toute responsabilité comme caution .Reprends l'écrit que tu m'avais donné ; actuellement il ne  m'est plus d'aucune utilité ." Lorsque Haçan Basri s'éveilla, il vit dans sa main un écrit . Alors, dans l'effusion de sa reconnaissance, il s'écria :" Mon Dieu, par un effet de ta miséricorde, tu as montré ta face à celui qui a vécu soixante-dix ans dans l'infidélité ; faut-il s'étonner si tu fais miséricorde aux musulmans ? "


On raconte que Haçan Basri considérait comme bien supérieur à lui quiconque il voyait . Un jour, comme il marchait sur le bord du fleuve, il vit un noir qui était assis tout près d'une femme . Devant lui étaient placées une cruche et une coupe ; chacun d'eux versait à son tour de la cruche dans la coupe et buvait . Haçan Basri se dit en voyant cet homme : "En voilà un qui vaut mieux que moi ." Toutefois il lui vint à l'esprit : " Sous le rapport de l' observance légale, il est bien possible qu'il ne l'emporte pas sur moi, puisqu'il a auprès de lui une femme de  mauvaises moeurs et qu'il est installé à boire du vin . " Au milieu de ces réflexions vint à paraitre sur le fleuve un bateau lourdement chargé et monté par sept personnes . Comme il allait aborder, il sombra tout à coup . Le noir, se jetant à l'eau en retira successivement six personnes ; puis, allant à Haçan Basri, il lui dit :"lève-toi; si tu es meilleur que moi, j'en ai sauvé six pour ma part, tu peux bien en sauver un pour la tienne " et il ajouta : Ô musulmans ! dans cette cruche il y a de l'eau, et quant à cette femme, c'est ma mère . J'ai voulu éprouver Haçan " ; et, s'adressant à Haçan : " Voilà, tu as vu avec l'oeil du dehors et tu n'as pas été capable de voir avec l'oeil de l'intérieur . "
A ces mots Haçan Basri, tombant aux pieds de ce noir, lui baisa la main et comprit que c'était un des serviteurs d'élite du Seigneur très haut .
Ô vénérable ! lui dit-il de même que tu as retiré ces naufragés des eaux du fleuve, sauve-moi de l'abîme du culte de moi-même . "
Et le noir de lui répondre : "Va, tu es sauvé . " Depuis lors il ne considéra plus personne comme moindre que lui ; il estimait que tous lui étaient supérieurs . Un jour, voyant un chien, il dit : "Mon Dieu, pardonne-moi  en faveur de ce chien ; élève-moi aussi haut que lui .
-Quoi donc, lui demanda quelqu'un, ô Haçan ! est-ce toi le meilleur, ou le chien ?
Si je suis à l'abri de la colère du Seigneur très haut, répondit-il, c'est moi qui suis le meilleur ; mais si je n'en suis pas délivré, ce chien vaut cent fois mieux que moi ."


On raconte que Haçan Basri disait :" Je suis resté stupéfait devant les paroles de quatre personnes : 1.d'un ivrogne ;2.d'un mignon infame ; 3.d'un enfant ; 4.d'une femme .
-Comment cela ? lui demanda-t-on .
-Un jour, répondit-il, comme je passais près d'un mignon, craignant que le pan de ma robe ne le touchât, je la serrai autour de moi . Lui de me dire :
Ô Haçan ! pourquoi ramasses-tu le pan de ta robe loin du contact de ma personne ? Nul autre que le Seigneur très haut ne sait quelle sera la fin de chacun .
Une autre fois je vis un homme ivre qui allait tombant et se relevant au milieu de la boue . Je lui dis :Tâche donc de poser mieux ton pied de manière  à ne pas tomber .
-Ô Haçan ! me répondit cet ivrogne, malgré toute la peine que tu te donnes, marches-tu, oui ou non, d'un pas bien assuré dans la voie de Dieu ? Si je suis renversé dans la boue, il n'y aura pas grand mal ; j'en serai quitte pour me laver et me nettoyer ; mais toi, que tu ne tombes dans le puits du culte de ta personne, jamais tu n'en sortiras net et ta situation en sera foncièrement ruinée . Ces paroles me firent mal au coeur .Une autre fois encore un jeune enfants'avançait, tenant un flambeau allumé . D'où apportes-tu cette lumière ? demandai-je . Lui, sur-le-champ, la souffla avec sa bouche, l'éteignit et, s'adressant à moi : Ô Haçan ! dis-moi où elle est allée et ensuite je t'expliquerai d'où je l'ai apportée . Un jour une belle femme, le visage dévoilé, les bras levés, venait à moi . Elle sortait de se quereller avec son mari, et à peine m'eut-elle abordé qu'elle commença à me répéter les propos qu'il lui avait tenus .Ô femme ! lui dis-je, couvre d'abord ton visage et ensuite tu parleras .
-Ô Haçan ! me répondit-elle, dans ma passion pour une créature j'ai perdu la raison et je ne sais même pas que j'ai le visage découvert . Si tu ne m'en avais pas fait apercevoir, je serai entrée ainsi sans voile dans le bazâr .Mais toi, qui cultives avec un zèle si infatiguable l'amitié du Seigneur très haut, ne devais-tu pas tenir en bride ton oeil pour ne pas voir que mon visage était découvert ? Les paroles de cette femme me firent une profonde impression ."


Haçan Basri dit un jour à ses familiers :"Vous autres, vous ressemblez aux compagnons de l'Envoyé, sur lui soit le salut !" Eux tous de se réjouir, mais il ajouta : " Ce sont vos visages et vos barbes qui portent cette ressemblance, mais rien autre en vous .De plus, si vous les aviez vus, tous vous auraient fait l'effet d'insensés .Eux, de leur côté, s'ils vous avaient  vus, n'auraient pas traité de vrai musulman un seul d'entre vous ; attendu qu'eux tous, dans la pratique de la foi, étaient comme des cavaliers montés sur des chevaux rapides, ou comme le vent, ou encore comme l'oiseau qui vole dans les airs ; tandis que nous cheminons comme montés sur des ânes qui  ont une plaie sur le dos ."

On raconte qu'un Arabe, étant venu trouver Haçan Basri, lui demanda ce que c'était que la patience .
"Il y a, répondit Haçan Basri, deux espèces de patience : l'une consiste à supporter courageusement l'affliction et les calamités, à ne pas commettre les actions que  le Seigneur très haut nous a interdites ; et l'autre à ne jamais prêter l'oreille aux suggestions de Cheïtân .
-Pour moi, dit l'Arabe, je n'ai jamais vu personne plus retiré de ce monde et plus patient que toi .
-Hélas ! dit Haçan, mon renoncement au monde et ma patience ne peuvent être comptés pour rien .
-Pourquoi parles-tu ainsi ? s'écria l'Arabe .
-Parce que, si je pratique le renoncement, ce n'est que par crainte du feu de l'enfer ; et je ne suis fidèle à la patience que parce que j'espère entrer en possession du paradis . Or celui-là seul mérite d'être compté qui, sans s'inquiéter de sa tranquilité à lui,pratique la patience pour le Seigneur très haut, et dont le renoncement n'a pas pour but le paradis, mais uniquement le désir de plaire à Dieu . Une telle manière d'agir est le signe manifeste de la sincérité du coeur . "


Haçan Basri disait : " Il faut à un homme une instruction solide et pratique : plus une bonne conduite conforme à son instruction ; plus, trois choses qui vont de pair avec cette instruction et cette conduite :1. la sincérité ; 2.la patience ;3. la modération dans les désirs . Celui chez lequel ces trois conditions sont pleinement remplies ne restera jamais frustré dans ses espérancs ; il aura sa part dans les miséricordes du Seigneur très haut . "

Il disait encore : " Les moutons sont plus attentifs que les hommes, car lorsque le pâtre les appelle, ils cessent de paître, tandis que les hommes, quoiqu'ils aient entendu tant de fois les avertissements du Seigneur très haut, ne se retiennent pas de faire le mal, lequel mal provient toujours des mauvaises compagnies ."

Il disait encore :"Si quelqu'un m'invitait à boire du vin, j'aimerais mieux cela que s'il m'appelait pour entasser ensemble les biens de ce monde .

-On ne gagne pas le paradis avec ces quelques oeuvres que nous pratiquons, mais avec de bonnes et sincères résolutions .
-Lorsque les habitants du paradis regarderont en y faisant leur entrée, ils seront comme frappés d'une ivresse de sept cent mille années, parce que le Seigneur très haut se révèlera à eux dans toute sa gloire . S'ils le contemplent face à face, ils perdront le sentiment de leur être en présence d'une majesté si imposante . A la vue de sa beauté, devant la multiplicité de ses attributs et son unité, ils s'abimeront dans les profondeurs de l'amour et resteront comme enivrés . "

Il disait encore : "La méditation est comme un miroir dans lequel chacun de ceux qui la pratiquent, en examinant son état, voit réfléchis devant lui ses vertus et ses vices .
Haçan Basri disait : "J"ai vu écrit dans le livre du Tevrit (le Pentateuque) que celui qui pratique la modération dans les désirs n'a pas besoin des autres . Celui qui, se mettant à l'écart de tout le monde, choisit pour lui la retraite dans un coin, y trouvera le salut . S'il met sous ses pieds la concupiscence, il devienda libre . S"il n'éprouve pas le le sentiment de l'envie, il parviendra au rang des hommes généreux . S'il persévère dans ces voies, il obtiendra la félicité dans les deux mondes ."

Il disait encore : "Les degrés de la crainte sont au nombre de trois : le premier consiste à dire toujours la vérité ; le deuxième à garder sa personne de toutes les oeuvres que n' aime pas le Seigneur très haut ; le troisième à se conduire de manière à voir ses actes agréés de Lui . "
Et il ajoutait : " Un mitsqâl (environ six grammes et demi) de crainte vaut mieux que mille mitsqâl de jeûnes et de prières .

La plus excellente de toutes les oeuvres, c'est la pratique de la crainte et la méditation sur ses propres actes . Celui dont le coeur ne va pas de pair avec la langue, dont l' extérieur et l'intérieur ne sont pas à l'unisson, porte sur lui l'empreinte de l'hypocrisie . Le vrai fidèle est celui qui s'applique constamment à ne pas tomber dans l'hypocrisie, qui ne fait rien de ce qu'il ne doit pas faire, qui ne prononce jamais une parole qu'il ne doit pas dire ."

Il disait : "Il y a trois espèces de gens dont on peut mal parler en leur absence sans que ce soit de la médisance : 1. Les prévaricateurs ; 2. ceux qui ne distinguent pas l'illicite du licite et qui marchent au gré de leurs désirs déréglés ; 3. les oppresseurs . Lorsqu'on a eu le malheur de médire de quelqu'un, il faut en demander souvent  pardon à Dieu ."

"Bien à plaindre, disait-il, celui des fils d'Adam qui met sa complaisance dans ce bas-monde, où l'on doit rendre compte de l'usage des choses légitimes et où il y a un châtiment pour les choses défendues ! Chaque fois que mourra un des fils d'Adam, il partira avec trois regrets : 1.de ne s'être jamais rassasié d'entasser les biens de ce monde ; 2. de n'avoir jamais trouvé la satisfaction des désirs qui étaient dans son coeur ; 3. de n'avoir pas préparé convenablement les provisions de route pour l'autre monde . "Quelqu'un lui dit : "Un tel va rendre l'âme " ; et Haçan Basri de s'écrier : "Mais voilà soixante-dix ans qu'il rendait l'âme ; aujourd'hui il va être délivré de cette peine . "

Il disait encore : "C'est un homme avisé celui qui prend soin de ses intérêts dans l'autre vie sans se donner de soucis pour que sa prospérité temporelle ne soit pas endommagée .Quiconque connait le Seigneur très haut voit on amour pour Lui s'accroître de jour en jour ; quiconque connait ce monde passager le considère comme un ennemi .

 L'homme intelligent est celui qui pose un frein solide à la tête de ses passions et qui tient la bride d'une main ferme . Regarde bien ce que deviennent les affaires de ce bas monde pour quelqu'un qui meurt, parce qu'elles seront exactement de même pour toi après ta mort . C'était par amour pour le monde d'ici-bas que les infidèles rendaient un culte aux idoles . " Et il ajoutait : "Quiconque prise l'or et l'argent, le Seigneur très haut le fera tomber à la fin dans l'avilissement . Ne commande aux autres que ce que tu pourrais toi-même exécuter ."

 Il disait aussi : "Quiconque te rapporte les paroles d'autrui est capable de rapporter à autrui tes propres paroles .Ne donne pas accès auprès de toi à un tel personnage . Au jour de la résurrection il faudra rendre compte non seulement de tout ce qu'on aura mangé soi-même, mais de tout ce qu'on aura fait manger à son père, à sa mère ou à ses petits-enfants . Quant à ce qu'on aura donné à manger aux hôtes, il n'y aura pas à en rendre compte . Pour chaque prière que tu feras sans recueillement, le châtiment suivra de près . "

Haça Basri racontait : " Un jour que je me tenais sur la terrasse de ma maison, j'entendis la femme de notre voisin dire à son mari : Voilà cinquante ans que je suis dans ta demeure, toujours d'humeur égale dans l'abondance comme dans le dénuement . Qu'il fît froid ou chaud, je t'ai servi fidèlement, sans jamais rien demander . J'ai conservé intacts ton nom et ton honneur . Je n'ai porté plainte contre toi à personne ; mais aujourd'hui je ne puis supporter de te voir prendre une autre femme et t'entretenir familièrement avec elle . En entendant ce discours, je fus en proie à une douce émotion et je pleurai  . Dans la Parole sacrée le Seigneur très haut dit 5 : Ô mon serviteur ! Je te pardonne ton péché ; mais si, dans ton coeur, tu te laisses aller à en adorer un autre que Moi, Je ne voudrai pas te pardonner . "

On demandait à Haçan Basri quelle était sa situation .
" Ma situation, répondit-il, est celle d'un homme dont l'embarcation s'est brisée en mer et qui reste sur un fragment de planche ."


Dans une oraison Haçan Basri disait : "Mon Dieu, Tu m'as accordé des grâces, et je ne T'en ai pas remercié . Tu m'as envoyé des épreuves, et je ne les ai pas supportées avec patience . Tu ne m'as pas retiré Tes faveurs pour avoir manqué de reconnaissance et Tu as supprimé les épreuves en voyant que la patience me faisait défaut . Mon Dieu, que Ta générosité et Ta miséricorde sont donc grandes ! "

Haçan Basri ne riait jamais . Au moment de rendre l'âme, il sourit une fois et s'écria : "Quel péché ? quel péché ? " et il expira . Quelqu'un le vit en songe et lui demanda : "Ô Haçan Basri ! toi qui ne souriais jamais, pourquoi donc, en rendant l'âme, disais-tu, le sourire aux lèvres : Quel est ce péché ? quel est ce péché ?"
Et Haçan de répondre : "Comme je rendais l'âme, un bruit de voix se fit entendre et l'on disait : Ô Azraïl ! tiens bien son âme, elle a encore un péché : et moi dans ma joie, je disais : Quel péché ?"
La nuit même où mourut Haçan Basri, un personnage vénérable vit en songe qu'on avait ouvert les portes du ciel et qu'on criait : "Haçan Basri vien d'arriver chez le Seigneur très haut, qui est satisfait de lui ."


Extraits de l'ouvrage : "Le mémorial des saints " de Farid-ud-Din 'Attar
Traduit d'après le ouïgour par A. Pavet de Courteille


1.Surnommé Abou Se'id el-Haçan ben Abil-Haçan Yeçâr, né l'an 21 (641-642).Mort le 5 de redjeb de l'an 110 (728-729).Il n'avait donc pu rencontrer le Prophète, mort en 632.
2.Ce combat eut lieu le vendredi, 16ème jour du mois de ramazân de la seconde année de l'hégire (13 janvier 624).

3.Soufi est pris ici dans le sens de "moine, religieux.
4. La loi n'exigeait de lui cette purification qu'avant l'accomplissement de la  prière, tandis que lui n'attendait pas ce moment pour se purifier.
5.Qoran, sour. IV, vers 51 et 116
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