dimanche 20 août 2017

Jeff Kerssemakers - Compte rendu - Charles-André Gilis, René Guénon 1907-1961 . Editions Le Turban Noir


Charles-André Gilis, René Guénon 1907-1961 . Editions Le Turban Noir, Paris 2014 (210 pages, avec un index des noms) .
 
Monsieur Gilis aime surprendre . Et ce sont les dates du titre qui nous étonnent, car ils ne correspondent apparemment pas, ni à la naissance, ni à la mort de rené Guénon . Mais Monsieur Gilis nous l’expliquera bien dans le début de son livre, qui contient, par ailleurs, de très belles pages qui nous font vibrer de reconnaissance envers le Seigneur de faire partie de ces fidèles inconditionnels de l’œuvre de Shaykh Abd el-Wâhid et de Shaykh Mustaphâ .
 
Notons dans ce sens les quelques pages où l’auteur donne la définition des Trois Sceaux . Personne d’autre n’a aussi clairement expliqué leur fonction par rapport à l’Islam .

Et aussi les paragraphes où Monsieur Gilis explique le rôle subversif et contre-initiatique de la « Ibn Arabi Society » qui présente une des manipulations de nous fournir un pseudo-Soufisme « new age » (peace and love), après avoir réussi à créer un pseudo-Islam avec le Wahhabisme, les Salafistes et autres .

Mais l’étude de Monsieur Gilis contient aussi des pages funestes qui ne devraient pas être rédigées .
 
Ce qui nous a choqué le plus dans ce livre, c’est quand l’auteur s’attaque irrévérencieusement à la personne de Schuon . M. Gilis, sur deux pages (170-171), ne fait aucune allusion à la position doctrinale de Schuon par rapport à l’initiation chrétienne ni à d’autres questions doctrinales conflictuelles avec la position de Guénon, mais il égrène une série de propose blessants et insultants . Il ose même faire allusion au « désastre de Bloomington », où Schuon était victime (à l’Américaine) d’accusations mensongères et diffamatoires, et conclut par dire que, à la fin de sa vie il perdit la maîtrise de lui-même au point que « le poète se substitua au guide » (ce qui est une formule schuonienne très classique) .
Nous nous souvenons bien, à l’époque où nous avions l’honneur insigne de fréquenter Shaykh Mustaphâ, du respect et de la vénération dont témoignait toujours Shaykh Mustaphâ à l’égard de son maître et de la douleur qu’il éprouvait quand il avait à corriger des textes que Shaykh Aïssa lui présentait pour les Etudes Traditionnelles et qu’il y insérait toujours en première position .
 
Rappelons dans ce contexte ce qu’un ancien a entendu de la bouche de Shaykh Mustaphâ :  « Ceux qui critiquent Shaykh Aïssa ne lui arrivent pas à la cheville ! »

 Frithjof Schuon et Michel Vâlsan



Pourtant dans le numéro hors-série sur Schuon de « Connaissance des Religions », la rédaction félicite Monsieur Gilis « qui a le fair play de stigmatiser le dénigrement systématique de Frithjof Schuon par certains, qu’il contribue ainsi à disqualifier . Il est appréciable de pouvoir renvoyer ces contempteurs aux lignes que Charles-André Gilis leur réserve »…L’article de Monsieur Gilis porte le titre : « Le respect des convenances »…
 
Ces pages d’insultes au Shaykh de son Shaykh nous attristent profondément . Mais procédons par ordre .
 
Premièrement, ce que M. Gilis appelle le « point de départ » de Guénon, ou l’illumination initiale », nous dirions plutôt, sa réalisation) qu’il situe en 1907, lorsque Guénon est rattaché à la tradition hindoue par un guru qui n’a pas pu être identifié avec certitude . M. Gilis nous parle alors du cas de M. Emmanuelli, rattaché au tantrisme indien, lequel lui a communiqué que son guru a bénéficié d’une assistance spirituelle due  à une intervention exceptionnelle de la « Grande Déesse » se situant à la même époque que le rite illuminateur conféré à René Guénon . M. Gilis en tire la conclusion que « l’illumination première de René Guénon s’inscrit dans un plan d’ensemble prenant appui sur la tradition tantrique dont les effets se manifestèrent d’une façon quasi-simultanée en Orient et en Occident ». Donc, il faut croire que la fonction de René Guénon aurait été provoquée par la « Grande Déesse » ? On a quand même du mal à reconnaître le parallèle entre l’assistance providentielle à un certain guru en Inde et le départ de la fonction de René Guénon pour restaurer la connaissance traditionnelle en Occident . Et il est encore moins sûr que l’initiation de René Guénon à la tradition hindoue a été tantrique . Il s’est toujours référé à l’orthodoxie stricte de Shri Chankaracharya . M. Gilis argumente qu’il faut être né hindou pour être initié à l’hindouisme, mais il est utile de savoir qu’il y a des organisations initiatiques hindoues qui datent d’avant la Réforme de Chankaracharya et qui ne pratiquent point le système des castes . Ce qui leur permet d’accepter des non-hindous dans leur organisation .
 
Le plus étrange est bien le fait que M. Gilis, akbarien avoué, oublie l’assistance providentielle du Shaykh al-Akbar au départ de  la « carrière » de René Guénon . Par l’étude de Sidi Abdul-Haqq qu’il cite deux fois élogieusement, il aurait dû savoir que Sidi Abdul Hadi qui a rattaché René Guénon au Taçawwuf, était dirigé lui-même vers son Shaykh égyptien suite à une vision du Shaykh al-Akbar . Donc, le réveil traditionnel de l’Occident a bien été provoqué par l’intervention du Shaykh al-Akbar, plutôt que par un improbable rattachement tantrique . Après tout ce que M. Gilis nous a appris sur les relations entre la tradition hindoue et la tradition islamique (Les douze soleils ; la lettre nûn, ect) on a du mal à comprendre pourquoi M. Gilis affirme que la question islamique était étrangère à son rattachement initial …
 
René Guénon, lors de son rattachement, a réalisé (dans le vrai sens du terme) immédiatement tout ce qu’il portait déjà en lui : les matrices de la Sagesse avaient prédisposé et formé son entité selon une économie précise, comme l’a formulé Michel Vâlsan . René Guénon était « au-delà des formes » et pouvait donc valablement pratiquer toute tradition vivante . Plus tard, des auteurs malveillants ont cru l’accuser de duplicité à l’occasion de son mariage selon le rite catholique tout en étant lui-même musulman, mais cela ne posait pas de problème pour l’Homme Parfait qu’était René Guénon .
 
Deuxièmement, M. Gilis cite les arguments de M. Jean Robin sans aucune précaution . Alors que l’on sait que cet auteur est manifestement un représentant de la contre-initiation . Son premier livre (sur René Guénon) était un leurre soigneusement rédigé dans un style traditionnel, copié sur d’autres auteurs plus sérieux, mais dissimulant plusieurs pièges perfides .
Avec sa première citation de M. Robin, M. Gilis l’associe à deux autres auteurs, qui ont fait du tort à René Guénon sans le préciser .
Au contraire, il dit : « Depuis l’ouvrage de Laurent, celui de Robin et celui de Marie-France James, rien de vraiment significatif n’a été publié sur René Guénon ».
 
D’abord, (p. 68) M. Gilis dit que M. Robin s’appuie sur l’autorité de Michel Vâlsan et qu’il interprète les événements avec lucidité, alors que plus loin (p. 69) il constate que M. Robin qui, dans la deuxième édition de son livre sur René Guénon, a ajouté une longue préface où il s’acharne, « sur un ton qui confine parfois à l’hystérie, à réduire à néant ses propres argumentations » et (p. 71) il accuse M. Robin (par rapport à M. Vâlsan) d’une déformation monstrueuse de la réalité véritable »…
 
Nous avons connu M. Robin, quand il était reçu chez Shaykh Mustaphâ à qui il sollicitait de l’aide pour son livre sur René Guénon, mais Shaykh Mustaphâ ne lui a rien transmis, car il était visiblement déséquilibré : M. Robin s’en plaignit qu’il se sentait « attaché » à Rennes-le-Château (lieu infernal par excellence). Shaykh Mustaphâ lui proposa de se faire « délier » par Sidi Lakhdâr, présent à l’époque . Shaykh Mustaphâ nous a dit plus tard que Sidi Lakhdâr n’a rien pu faire . C’était trop puissant pour lui . Et il y avait encore question d’une certaine femme  de Rennes-le-Château qui avait ensorcelé M. Robin . Voilà le personnage qui a grossièrement menti quand il a déclaré avoir reçu des informations de Michel Vâlsan …
 
Troisièmement : M. Gilis veut diviser la « carrière » de René Guénon en deux périodes antithétiques : la première serait la période du rétablissement de l’ordre des Templiers ou Ordre du Temple Renové . René Guénon fonctionnait alors en tant que Maître (murshid) entouré de disciples . Après la trahison de plusieurs et la mise en sommeil de l’Ordre, René Guénon part s’installer au Caire et décide alors de ne travailler qu’au changement de la mentalité occidentale en écrivant . Il rédige à cette fin ses œuvres doctrinales, refusant désormais tout disciple .
 
On sait parfaitement que René Guénon a toujours déclaré et cela à plusieurs reprises, qu’il n’a pas de disciples et que personne n’a le droit de le prétendre . Rien ne permet d’affirmer que René Guénon en Grand Maître de l’Ordre acceptait de diriger des « disciples » . On sait seulement qu’il y donnait des conférences, qu’il dispensait un enseignement doctrinal . Il y avait certainement un rituel de rattachement, d’adoubement qui a continué au moins jusqu’en 1917, car, et c’est Shaykh Mustaphâ qui nous l’a communiqué : dans une lettre de René Guénon portant une date de 1917, il enjoignait les Frères d’apporter leurs épées à la réunion prévue . L’Ordre a donc fonctionné plus longtemps que ne le dit Monsieur Gilis .
 
Quatrièmement, celui qui s’est familiarisé avec les écrits de M. Gilis aura vraiment du mal à comprendre où il veut en venir avec la « répartition des rôles » entre René Guénon et Frithjof Schuon . (p. 139)
 
« A Shaykh Abdel-Wâhid la guidance principielle et à Shaykh Aïssa la guidance particulière . La dualité apparente des fonctions, ect ».
Monsieur Gilis nous a toujours fait connaître le cas particulier et unique de René Guénon qui n’a jamais « partagé » sa fonction avec personne . Même ses amis qu’on peut qualifier d’intimes (Ananda K. Coomaraswamy ou Charbonneau-Lassay, par exemple) étaient des collaborateurs, des informateurs, mais ne partageaient absolument pas sa fonction .
 
Cette supposée dualité apparente des fonctions est encore en contradiction flagrante avec son analyse irrespectueuse de la « carrière » de Shaykh Aïssa, comme nous l’avons relevé plus haut .
 
M. Frithjof Schuon est le lien providentiel entre le Shaykh al-‘Alawi (Qutb de son temps) et le Shaykh Mustaphâ (Initiateur des études akbariennes). Il fait partie intégrante de l’œuvre majeur de Shaykh Abd el-Wâhid pour restaurer un esprit traditionnel en Occident, ainsi que la création d’une élite intellectuelle. Qui détruit une partie d’une construction endommage l’édifice entier .
 
Jeff Kerssemakers

2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Pourriez-vous me dire qu'est ce que vous-pensez de cette lettre de rené Guénon :

    D’autre part, j’ai reçu une lettre de Burckhardt, qui, au sujet de mes réponses à Martin Lings, dit « que la violence de ces lettres l’a douloureusement frappée, et qu’il ne parvient pas à concilier cette impression avec les circonstances qui ont évoqué mes remarques si sévères » ; il me semble pourtant que ce n’est pas bien difficile à comprendre! [… ] j’admire qu’on puisse pousser la mauvaise foi aussi loin.

    Cela ne m’étonne guère, car, au point de vue technique, l’ignorance de tous ces gens, à commencer par Frithjof Schuon lui-même, est véritablement effrayante…

    En pensant à toutes ces histoires, je crois qu’il faudra faire très attention à tout ce que Frithjof Schuon et les Suisses voudraient faire passer dans les « Études Traditionnelles », car il se pourrait qu’ils glissent dans quelque article quelque chose qui serait dirigé contre nous, peut-être sous une forme plus ou moins déguisée. C’est déjà bien assez de ce qui est arrivé avec la fameuse note des « Mystères christiques », et il ne faudrait pas risquer de s’exposer à quelque nouvelle histoire de ce genre, et qui serait peut-être pire encore cette fois ; […]

    J’en viens maintenant aux affaires de Suisse. Tout d’abord, peu après vous avoir écrit la dernière fois, j’ai reçu de nouvelles lettres de Frithjof Schuon et de Burckhardt ; Martin Lings les a encore apportées lui-même, et, comme toujours en pareil cas, il paraissait très pressé d’en voir le contenu, mais, en réalité, je crois bien qu’il en avait déjà pris connaissance avant moi ! En effet, comme je lui avais passé le commencement de la lettre de Burckhardt avant d’avoir fini de lire la dernière feuille, il vit que je n’avais que 3 feuilles entre les mains, et dit d’une façon en quelque sorte machinale, « Je croyais qu’il y avait 4 feuilles… » ; puis il s’arrêta brusquement, s’apercevant probablement qu’il faisait une « gaffe », et il se mit a parler de tout autre chose. Cela avait naturellement éveillé mes soupçons ; aussi, après son départ, nous avons examiné les enveloppes de près, et nous avons constaté qu’elles avaient été décollées et recollées avec soin, mais pourtant pas assez habilement pour que cela ne se voie pas, et qu’il en était aussi de même de la précédente lettre de Burckhardt. Ainsi, l’adresse des Pyramides n’était donc réellement pas sûre, et il se peut très bien que des choses semblables se soient déjà produites bien des fois avant cela ; heureusement, il n’y vient plus maintenant que des choses assez peu importantes, sauf naturellement les lettres de Suisse.

    Il est encore apparu, comme vous le verrez, certaines choses qui tendent à confirmer que l’adresse des Pyramides n’est pas sûre ; je vous demanderai donc, bien qu’il y ait encore au moins 3 semaines de tranquillité, de m’écrire à partir de maintenant à l’adresse suivante :

    Sheikh Abdel-Wâhid Yahya
    c/o Mercerie Ramadân
    5 Shara Saad Zaghlud
    Gisah



    Les voyageurs des Pyramides doivent décidément arriver demain ; qui sait quelles querelles Martin Lings va bien pouvoir me chercher encore et ce qui en résultera ?

    Bien cordialement à vous,

    René Guénon

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  2. Ce commentaire est resté sans réponse....dommage

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